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L’énigme Suzuki

On le sait, le sport mécanique est un milieu en perpétuel transformation. Que ce soit les règlements, les épreuves, les équipages et bien sûr les constructeurs, tous évoluent au gré des avancées technologiques et des besoins des actionnaires. Car il ne faut pas se leurrer: un constructeur s’engagera dans une discipline avant tout pour des besoins marketing et dans le meilleur des cas, pour développer certaines technologies en utilisation extrême. Même une équipe emblématique comme Ferrari en F1, n’est pas à l’abri un jour de stopper son engagement dans la discipline si le règlement n’est plus en adéquation avec ses modèles disponibles à la vente.

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Mais revenons en au rallye. Depuis l’arrêt de Seat fin 2000, de Mitsubishi en 2002 puis fin 2005, de Hyundai fin 2003 et de Peugeot et Skoda fin 2005, le WRC traversait une petite crise d’identité et peinait à attirer de nouvelles équipes. La saison 2006 était d’ailleurs unique dans l’histoire puisque hormis Ford et Subaru, toutes les autres WRC engagées étaient des programmes privés, bâtis sur les « restes » des équipes usines: Bozian et Astra utilisait les 307 WRC, Kronos Racing les Xsara WRC, Stobart des anciennes Focus WRC et enfin Red Bull intégra le championnat du monde via les Skoda Fabia WRC. Aussi, lorsque Suzuki annonça son arrivée dans la catégorie reine pour la saison 2008, on senti comme une bouffée d’air frais au sein du parc d’assistance.

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Car l’équipe nippone ne débarquait pas de son île comme un écrou sur une pile de pneu. Elle avait acquis une solide expérience en catégorie inférieure et pouvait clairement être au niveau en quelques années. Petit rappel pour les plus jeunes d’entre vous:

  • Suzuki Sport, alors basé au Japon, lance la Suzuki Ignis S1600 en championnat Asie-Pacifique aux mains du charismatique Nobuhiro Tajima aussi connu sous le nom de « Monster » Tajima (Pour sa bio c’est par là !) avec des résultats plutôt moyens disons le:

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  • Pourtant, il faut croire que cela a suffit à convaincre les décideurs puisqu’en 2002, trois Ignis S1600 sont engagées sur 6 manches du JWRC avec Juha Kangas, Niki Schelle et Kazuhiko Niwa. Hormis un premier podium en Allemagne pour le rallye à domicile de Schelle, la voiture peine à jouer aux avant-postes. Alors en 2003, la structure Suzuki Works Techno (SWT) est créée en Europe (probablement aux Pays-Bas d’après les recherches) pour faciliter les échanges entre le Japon et les clients européens. Quatre voitures sont engagées par quatre teams privés: Team Japan pour le suédois Daniel Carlsson, Team Grande-Bretagne pour Ville-Pertti Teuronen, Team France pour l’estonien Urmo Aava et enfin le Team Italie pour Salvador Canellas. Surement les plus gros marchés à ce moment pour la marque Suzuki. En terminant respectivement 2ème (Cannellas), 3ème (Carlsson) et 4ème (Aava) avec 2 victoires et 6 podiums, on peut dire que la progression est notable pour la petite Ignis:

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  • Lors des saisons 2004 et 2005, la japonaise fait encore mieux et compte jusqu’à 6 pilotes dont des futurs grands comme Wilks, Katajamäki, P-G Andersson et un certains Jari-Matti Latvala. La consécration arrivera en fin d’année avec le premier sacre en JWRC pour Andersson et la 3ème place de Wilks. En 2005, l’entité Suzuki Sport Europe est créée en Hongrie, tout prêt des usines de Magyar qui produisent pour la série l’Ignis, la nouvelle Swift et bientôt la future SX4. Tous les résultats de Suzuki en JWRC ici.

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  • La nouvelle arme de la marque, la Suzuki Swift S1600, débarque mi 2005 avec des    podiums d’entrée de jeu. Elle permettra à P-G Andersson de glaner un second titre en 2007 et à Aaron Burkart de remporter le dernier du JWRC sous l’ère des S1600 en 2010. Mais alors que le pari semble gagné, et surement sous la pression et passion de Monster Tajima, les japonais veulent viser encore plus haut et annonce leur arrivée dans la cour des grands pour l’année 2008.

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C’est la Suzuki SX4, lancée en 2006, qui fut choisie comme base pour la WRC. Les premiers tests, essentiellement de déverminage au départ, se déroulent au Japon en Février 2007 avant que l’équipe ne prenne ses quartiers en Europe. Le fonctionnement en interne parait bien complexe puisque sur le site officiel, on voit apparaitre le nom de Suzuki Motor Corporation pour le développement de la voiture, Suzuki Sport pour la fabrication des autos et enfin la structure Suzuki Sport France basée à Paris. Après les Pays-Bas et la Hongrie, l’équipe japonaise ouvre une nouvelle structure européenne sous l’entité générale du Suzuki World Rally Team.

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La genèse du projet Suzuki SX4 WRC en vidéo

Vous ne le saviez peut être pas mais oui, il y avait un autre constructeur en WRC présent en France. Basée au 22 Rue du Moulin – 78690 Les Essarts le Roi, je me souviens de la campagne de recrutement fin 2006, début 2007 dans tous les secteurs, du mécanicien, ingénieur à l’homme d’entretien. Pour les férus d’infos, en voici quelques unes sur le site Société.com. Les premiers tests en Europe ont eu lieu en Mars puis en Avril sur la terre dans le sud de la France. Pour la saison 2007, deux rallyes étaient au programme pour préparer la voiture et l’équipe aux conditions de course et surtout face à la concurrence: le Tour de Corse en Octobre et le RAC fin novembre.

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Sans grande surprise, entre manque de performance et problèmes techniques, les débuts de la SX4 WRC en championnat du monde n’ont pas vraiment marqués l’histoire. Sur asphalte, l’écart entre la japonaise et le haut du classement peine à descendre sous les  2s/km, idem sur la terre avec Sebastian Lindholm, le cousin de Marcus Gronhölm, qui connu un RAC bien compliqué avec la perte des freins dès le premier chrono. Le début de la saison 2008 ne s’annonçait donc pas de la meilleure des manières.

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Premier changement notable en fin d’année, le remplacement de Michel Nandan (passé par le TTE et Peugeot Sport) arrivé en Novembre 2006 par le japonais Shusuke Inagaki (ex Mitsubishi).  L’équipe présente également ses pilotes en Décembre 2007: l’expérimenté Toni Gardemeister et le champion JWRC en titre P-G Andersson. Au Monte-Carlo, Andersson marque les premiers points de l’écurie en prenant la 8ème place alors que Gardemeister abandonne. En Suède, les rôles s’inversent et c’est Gardemeister qui termine 7ème alors que son équipier doit renoncer. Après le double abandon au Mexique, un soucis de conception sur les joints de culasse est identifié. Un début de saison presque encourageant vite balayé par une série d’abandons et une avalanche de soucis de fiabilité.

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Il faudra attendre la 10ème manche en Allemagne pour stopper la série noire. La Nouvelle-Zélande confirme les progrès avec une 6ème et 7ème place. Après les deux manches sur asphalte catastrophiques en France et en Catalogne, le meilleur résultat de l’année arrive au meilleur moment, au Japon. En plus de réaliser son premier scratch, les deux SX4 WRC finissent 5ème et 6ème. Malgré une bonne fin de saison, le Suzuki World Rally Team termine à la 5ème place des constructeurs (sur 6) et derrière la structure privée Stobart et très loin de Subaru, Ford et Citroën. Andersson termine 12ème du championnat, une place devant son équipier Gardemeister.

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La deuxième partie de saison convaincante laisser entrevoir de bons espoirs pour la suite du programme. Pourtant, la décision d’arrêter le programme semblait déjà prise depuis longtemps au sein du directoire de Suzuki. La raison officielle serait liée à la baisse des ventes due à la crise économique mondiale mais des sources proches assurent que l’arrêt avait été programmé avant la crise. Ce qui serait d’autant plus dommage vu les progrès affichés et d’où l’équipe partait. Entre la découverte du WRC, la fabrication d’un modèle à partir d’une feuille blanche et toute la structuration de l’équipe, il n’y avait rien d’anormal à souffrir la première année. Trop d’impatience ? Pas assez de retours commerciaux ? Pas d’emballement de la part des japonais ? Un budget difficile à trouver ? Un gâchis sans aucun doute. Le petit archipel avait offert au WRC trois poids lourd de la discipline et des voitures mythiques mais l’arrêt de Suzuki était au moins autant préjudiciable au rallye que l’enthousiasme engendré lors de l’annonce de son engagement fin 2006.

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Pour les plus nostalgiques, la rédaction vient de démêler (ou presque) une énigme vieille de 8 ans maintenant. Officiellement, tous les châssis utilisés avaient été détruit (il en reste surement dans des musées) et aucunes SX4 WRC privées ou semi-officielle n’a roulé depuis le RAC 2008. Pourtant en 2010, un pilote de la Barbade, Sean Gill, engage une SX4 « WRC » au Rallye de la Jamaïque. Difficile à ce moment de trouver des photos mais il semblait en effet que l’auto soit une rescapée du programme officielle. Après une sortie en 2012 qui mettra un terme à la carrière de Sean Gill, c’est Neil Armstrong qui récupéra le programme jusqu’en 2014. La dernière apparition de « la bête » se fera aux mains de Toni Gardemeister pour le Rallye de la Barbade 2015. Un joli clin d’oeil.

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En fait, le châssis #KD56 AZA n’est pas un châssis « officiel ». A la base c’est une commande de Simpson Motors, le distributeur Suzuki pour les Caraïbes. L’étude et la réalisation est confiée à la structure anglaise MML, connue pour avoir racheté et entretenir une grande partie du stock des Mitsubishi Lancer WRC ’05. Si extérieurement la SX4 made in Barbados est très convaincante, intérieurement les plus connaisseurs arriveront vite à déceler des anomalies: le moteur est issu de la Mitsubishi WRC ainsi que le volant, les commandes de boites, transmission et console centrale. C’est donc une Lancer déguisée dans un costume de Suzuki !

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Mystère résolu ! Cependant, ce qui reste à éclaircir, c’est le nombre d’anciennes WRC présentes pour le Rallye de la Barbade ou de Trinidad et Tobago depuis quelques années: Focus, Subaru S12/S14, Escort, Corolla, tout y passe. Un petit musée vivant pour les amoureux d’histoire comme moi …

Sources Suzuki en rallye:

Wikipédia  /  Suzuki en JWRC  /  Suzuki World Rally Team  /   EWRC-Results

Sources Suzuki « Made in Barbados »:

MML Sports  /  Test en caméra embarquée (bruit caractéristique de la Lancer WRC)  /  Photos de 2010 à 2015

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C’est en feuilletant un vieux magazine de l’année 1994, que mon attrait pour le rallye a commencé. Il aura pourtant fallu attendre le Monte Carlo 2000 pour que j’aperçoive en vrai ces autos et ces pilotes qui me faisaient tant rêver. Depuis, cette discipline hors normes à guider ma vie, sous différentes formes, et j’ai désormais la chance d’y travailler au quotidien comme coordinateur sportif et copilote.

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