Roadtrip Franco-Belge / Etape 3

Il est midi passé ici à Halma et je me dépêche de reprendre la route pour rejoindre Uriménil dans les Vosges, à 310km de là. Deux traversées de frontières plus tard, je suis au cœur du Rallye des Vosges dans ce petit village aussi boisé que son voisin belge. Il me tarde de percer, enfin, le secret de ce talentueux peintre-pilote.
Etape 3 – Whatatam
Le bel atelier en bois de Whatatam est juxtaposé à la maison de Julien Pressac, que j’aperçois à travers l’encadrement de porte. De nature timide et réservé, je n’ose presque pas m’avancer pour ne pas déranger l’artiste que je sais très occupé toute l’année. Heureusement que Julien n’est pas moi et qu’il m’invite chaleureusement à le rejoindre. Nous nous mettons immédiatement à discuter en même temps qu’il peaufine sa prochaine commande. Mais alors pourquoi Whatatam :
« Pour le bruit du rupteur ! Quand je me promenais à pied dans les paddocks, je faisais souvent le bruit des moteurs et donc whaaaaataaataaaammmm !! A force, on a commencé à m’appeler comme ça et le nom fut tout trouvé ! » Le ton est donné !
Difficile de passer à côté des couvre-chef de Julien depuis maintenant 11 ans, pourtant c’est bien en tant que pilote que ce vendéen de naissance à exceller au départ :
« Ma carrière est la copie parfaite d’une montagne russe avec ses hauts et ses désillusions. J’ai d’abord commencé par le circuit en kart puis dans des formules mono-type. Je me suis rapidement heurté au manque de budget et de solutions pour évoluer. Je suis passé par le Trophée Andros où je termine premier privé lors de la saison 1999/2000. J’ai alors 19 ans. La direction d’Opel me propose un contrat de pilote officiel pour la saison suivante, un rêve ! Malheureusement, le directeur change et le programme est annulé. Première désillusion. »
Mais il en faut plus pour décourager Julien qui tente alors un audacieux coup de poker :
« Je suivais le rallye à la TV et notamment la saison de JWRC en 2002 mais paradoxalement je n’en avais jamais vu en vrai. Cette année-là, Ford Motorsport engageait des Ford Puma S1600 avec notamment François Duval. Peu de noms circulaient pour la saison 2003 et je décide alors d’appeler l’ancien responsable des Formule Ford qui chapotait aussi ce programme. Coup de bol, il restait une place pour les sélections à Boreham en Angleterre, l’ancien QG de Ford Motorsport. Je termine 3ème/25 participants alors que je découvrais absolument tout de cet univers. Je pensais ma carrière repartie sur de bon rail avec un contrat de pilote officiel pour Ford France mais tout comme l’Andros, le projet est tombé à l’eau par manque de budget. »
Maudit, certainement, mais pas abattu, Julien lance sa carrière en rallye en 2003 pour la seconde année du Championnat de France nouvelle formule réservé au S1600, disputé sur asphalte et terre :
« Mes résultats à la sélection m’ont finalement permis de rencontrer du monde et faire parler de moi. L’équipe GHP basée à Ecully dans le Rhône me contacte pour rouler avec leur toute nouvelle Renault Clio S1600 fraichement sortie des cartons. Pour une première saison nous terminons 10èmedu championnat en ayant loupé les 3 dernières manches mais en ayant beaucoup appris. Mon manque d’expérience cumulé à celui de l’équipe ne nous permettait pas d’espérer plus. La voiture était délicate à régler et je manquais de roulage face à des Robert, Tirabassi ou Jean Joseph avec un palmarès déjà bien étoffé. Qu’importe, j’avais trouvé une nouvelle raison de me battre pour continuer dans cette discipline ! »
En 2004, le risque de partir en formule de promotion est grand mais Julien tente le pari dans le Challenge Saxo T4. Aux côtés de PH Sport, déjà, il termine second et poursuit l’année suivante dans le nouveau C2 Challenge qu’il remporte. Ses premières victoires :
« Avec 4 victoires sur les 4 premières courses, la saison ne pouvait pas mieux démarrer et heureusement elle a tout aussi bien terminé. Je suis alors contacté par Citroën pour effectuer le Var en C2 S1600 et cette fois pas de coup du sort ! Enfin ça peut y ressembler car on abandonne dans l’ES3 pour des soucis mécaniques. Yves Matton, alors responsable du programme en JWRC, me propose une place de 3èmepilote aux côtés de Meeke et Sordo pour la saison 2006 en plus d’un statut de pilote de développement pour la future C2R2. Vais-je enfin pouvoir savourer cette magnifique opportunité ? La réponse est … oui ! »
Cette fois pas de changement de personnel ou de désistement de sponsor pour empêcher Julien de signer un contrat de pilote professionnel pour la saison 2006. Mais que serait la carrière de Julien sans rebondissement ?
« J’avais une opportunité en or cette année-là. Celle de pouvoir évoluer en tant que 3èmepilote, sans pression de résultat, sur un championnat du monde et aux côtés de deux futurs grands de la discipline. Seulement, Dani Sordo décide de monter un gros programme et se retrouve en Xsara WRC sur l’ensemble du championnat. Me voilà propulsé second pilote avec toute la pression qui va avec. Objectivement on fait une belle année en terminant 8èmedu championnat, 1 point derrière Kris. On arrivait à être régulièrement devant comme lors de la première boucle en Catalogne mais on ne concrétisait pas. En Sardaigne, on se tanque dans un trou, les spectateurs nous aident à repartir mais on s’aperçoit qu’on nous a volé le cric quand il a fallu changer une roue quelques spéciales plus loin ! J’avais bon espoir pour 2007 mais avec l’arrivée de la C4, tous les programmes annexes se sont arrêtés, encore une fois. »
2007 fut la dernière vraie saison de Julien comme pilote. Au volant de la récente Peugeot 207 S2000 de chez BSA, il parviendra à accrocher un podium au Terre de Langres mais se heurtera surtout à des méthodes de travail contraire à sa façon de faire. En 2008, un drame familial et un certains ras-le-bol, finiront par venir à bout de la ténacité de ce Vosgien d’adoption. C’est à cette période qu’il créait alors Whatatam, un des pionniers dans le domaine :
« J’ai toujours peint mes casques. Je faisais cela chez le carrossier du village, en vrai autodidacte. Forcément quand tu roules, les autres pilotes voient tes casques et certains te demandes des renseignements. En 2008, lorsque j’ai voulu tout arrêter, cela m’a paru comme une évidence et j’ai voulu tenter le coup. Après 11 ans d’existence, je suis heureux d’avoir d’avoir pris ce risque ! »
Même si dans un petit coin de son cerveau, l’adrénaline du pilotage le démange encore un peu, la réputation et la demande chez Whatatam le garde très occupé. Mickaële, sa femme et aussi copilote, nous a rejoint et nous en profitons pour échanger sur des sujets divers qui tournent forcément autour du rallye : d’Armando Pereira à Stéphane Chambon, il y aurait encore de quoi écrire deux reportages. Mais revenons à Whatatam :
« Les peintres se comptaient sur les doigts de la main au tout début, maintenant la concurrence est rude avec les réseaux sociaux notamment. Depuis quelques temps j’ai étendu mon activité pour des demandes très spécifiques comme des répliques de moto ou même des remorques de poids lourd ! J’ai par contre toujours refusé d’intégrer le monde de la F1 car il faut livrer une vingtaine de casque en un temps record et tu te fais « dédommager » par un autocollant minuscule sur celui-ci à un endroit où personne ne le verra jamais. Ça ne m’intéresse pas. Avec le temps, j’ai développé une clientèle fidèle et des liens étroits avec les fabricants. »
On citera Kris Meeke, Mikko Hirvonen, Stéphane Lefevbre, Mads Ostberg, Le Tone, PH Sport et bien d’autres. Julien a su développer son style, sa marque de fabrique et son humour se retrouve même dans ses campagnes promotionnelles. C’est surtout son amour du travail parfait et sa remise en question permanente qui contribue à sa réputation :
« La peinture sur casque est vraiment un art et une spécialité à part entière. Il ne faut pas perdre de vue que le casque est le dernier rempart en cas de choc et que l’intégrité de celui-ci doit être préservé avant tout. Quand je vois des charlatans qui utilisent des produits qui te bouffent le composite ou le carbone ça me révolte. Il faut être hyper vigilant et préférer payer 200€ de plus pour un professionnel qu’économiser au risque de porter un saladier inefficace sur la tête. Cette année, Toyota m’a donné des directives très précises pour les casques de Kris et Seb : 35g de peinture par casque et pas un gramme de plus ! Maintenant Stilo m’envoie les casques démonté car ils ont confiance. Je gagne un temps fou sur la préparation. »
Justement, parlons chiffres. On parle de combien de casques par an ?
« En moyenne, je peints entre 50 et 80 casques par an, soit quasiment 2 casques par semaine. C’est mon objectif en tout cas. Bien sûr, tous les casques sont différents et tu peux passer de 20h à 50h par casque, tout dépend de la complexité. J’ai déjà utilisé de la feuille d’or pour un casque princier, il n’y a pas de limite ! Et c’est ce qui me plait. Transposer les désirs des clients en réalité concrète. Quand certains me laisse quartier libre et juste quelques couleurs, c’est un kiff total. Un vrai processus de création. On peut voir cela comme un tatouage, c’est un peu le prolongement de la personne qui a envie de raconter son histoire, un évènement important ou communiquer. Ma plus grosse période c’est de novembre à mars soit l’intersaison et la période de Noël. C’est toujours un peu le stress de savoir si on aura suffisamment de boulot ou non. »
Quand je vois ce qui attend sur les établis et les croquis qui sont en cours de validation, je peux vous dire que des petits bijoux sont en préparation. Cet atelier est en tout cas à l’image de Julien : organisé, fonctionnel et inventif. J’ai le privilège d’assister à la démo de son établi pour dupliquer les décorations sur les casques PH Sport, ça donne envie d’en commander un. Tout comme le casque de Bertrand Audouard qui allait être livré le lendemain où Julien s’est creusé la tête pour ajouter des détails uniques et rattraper les moindres défauts.
Il ne se repose jamais sur ses lauriers, fouine les avancées technologiques, test des nouveaux procédés, améliore les siens, sans cesse à la recherche de l’efficacité et de la satisfaction client. Un parallèle tout trouvé avec sa carrière de pilote. A défaut de reprendre le volant, il aura pu remonter dans une auto cette année à l’occasion de deux régionaux dans le baquet de copilote. Alors tes impressions Julien ?
C’est ainsi que ce conclut ce roadtrip de 2 jours entre France et Belgique. Un immense merci à Mickaële et Julien pour leurs accueils durant cette période chargée et la visite de Whatatam. Encore des échanges passionnants avec des passionnés et des amoureux du travail bien fait. Posséder « un Whatatam », c’est la garantie d’avoir un casque vraiment personnel et imaginé, réfléchi par un passionné jusque dans les moindres détails. Finalement même s’il ne roule plus, Julien parcourt le globe sur les spéciales ou les circuits au travers de ses clients, une jolie revanche.
Sources:
Photos: Julien Pressac / Victor Bellotto
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C’est en feuilletant un vieux magazine de l’année 1994, que mon attrait pour le rallye a commencé. Il aura pourtant fallu attendre le Monte Carlo 2000 pour que j’aperçoive en vrai ces autos et ces pilotes qui me faisaient tant rêver. Depuis, cette discipline hors normes à guider ma vie, sous différentes formes, et j’ai désormais la chance d’y travailler au quotidien comme coordinateur sportif et copilote.