Un parfum d’aventure

Dans cette série des « Rallyes vu d’ailleurs », nous nous étions déjà envolés pour l’Iran avec Mathieu Baumel, au Canada avec Yannick Roche, aux USA avec Florian Barral mais il reste encore des territoires inexplorés à découvrir. Il était donc temps de réouvrir le passeport pour reprendre un peu d’exotisme en cette drôle de période. Direction l’Amérique du Sud, dans la région du « Biobío», sur la côte Pacifique. Non vous ne voyez toujours pas ? Patience.

Notre guide sera une nouvelle fois Yannick Roche, véritable globe-trotter copilote, un sac de voyage prêt en permanence pour saisir chaque opportunité de découverte. Oublier les books préparés au petit oignon des semaines en amont, une logistique ficelée des mois en avance, pour ce rallye il a fallu improviser :
« Les organisateurs du Rally del Bio Bio nous ont contactés avec Nicolas peu avant le Touquet pour nous inviter à participer à la première manche du championnat du Chili, autour de la ville de Concepción, anciennement épreuve du WRC en 2019, dans l’équipe Point Cola Racing qui fait rouler deux Hyundai i20 R5 ancienne génération. Nous étions focalisés à 200% sur le Touquet à ce moment mais dès le lundi d’après rallye, tout s’est accéléré et finalisé. Il a fallu un peu batailler pour récolter tous les papiers de vaccination mais grâce à l’implication des membres de l’organisation, nous avons pu valider notre participation. L’aventure était lancée. Nous partions d’une feuille blanche mais heureusement 60-70% du tracé était commun à l’édition 2019 donc nous avons pu travailler les caméras, le parcours. Le reste était nouveau même pour les locaux ce qui nous pénalisait un peu moins sur le papier. Préparation express, un peu freestyle mais rafraichissante aussi, cela permet de reprendre les bases et d’aller à l’essentiel. »

Yannick et Nicolas décollent le samedi 30 Mars et arrivent sur place environ 32h plus tard le dimanche après-midi après 3 avions et un peu de route :
« On s’est forcé à ne pas dormir pour limiter le décalage horaire, en passant de -4h le jour de notre départ à -6h après le changement d’heure. Le soir nous avions un barbecue de bienvenue dans le team ce qui a un peu aidé mais nous nous sommes inévitablement réveillés en pleine nuit les premiers jours le temps de prendre le rythme. A vrai dire, c’était toute la semaine, avec de moins en moins d’impact chaque nuit. Le lundi, nous étions dans les ateliers pour régler nos positions, rencontrer l’ensemble des membres du team et commencer à travailler sur le setup. L’ingénieur n’était prévu que pendant le rallye mais nous avons pu compter sur l’équipe 2C Compétition, Thierry Gravier de chez PKM, Arnaud Mounier et notre expérience pour préparer une base de travail saine. Ils ne sont pas habitués à nos réglages mais ils ont été super ouverts à nos demandes ce qui nous a mis dans des bonnes dispositions. Le mardi, les tests officiels du rallye ont été annulés pour des soucis logistiques de pneumatiques et nous n’avons donc fait que 30km, histoire de déverminer l’outil. S’adapter, toujours. Le soir c’était récupération du roadbook et du GPS de reconnaissances. Les habitudes prises en WRC sont bien restées. Un guide complet du rallye est également disponible avec une carte sur google maps que l’on peut obtenir en scannant un QR code. Toutes les spéciales et surtout les routiers y sont tracés, un vrai plus pour nous car le road book manquait parfois quelque peu d’indications. Retour ensuite à l’hôtel qui fut le QG du rallye lors du WRC 2019, en passant devant les 33 food trucks (oui on les a comptés) qui se trouvent dans la rue adjacente. Nous n’aurons pas eu le courage (sans doute plus sage) de s’y aventurer »





Les deux journées suivantes sont consacrées aux reconnaissances, l’occasion d’enfin se frotter aux spéciales réputées de ce Rally del Bio Bio et d’avoir une première idée des difficultés :
« Le premier jour, nous avons plutôt reconnu le sud et le lendemain l’est. Avec notre C-Elysée de location, nous étions assez limités mais heureusement le terrain était plus dur que ce que l’on pensait et très damé par les camions forestiers, ce qui du coup était moins pénalisant. Les décors étaient grandioses et les spéciales vraiment belles et variées. Le soir, nous avons assistés à un vrai briefing pilote, avec appel nominatif comme en classe, ce qui nous a permis de mettre des noms sur les visages des pilotes et des copilotes. Comme nous n’étions que 27 engagés, le tour est vite fait ! Toutes les interrogations sur le RB ont été abordées et d’autres questions diverses d’organisation. Heureusement, un contact « traducteur » espagnol/anglais était avec nous. Enfin le président de la région est venu parler, on sentait beaucoup d’engouement.



Dès le jeudi, le rythme devient chargé et on ne s’arrête pas jusqu’au podium final. Les reconnaissances se bouclent assez vite et nous enchainons sur le shakedown et la qualif’ sur le même principe qu’en ERC : deux passages d’essai et un troisième de qualification. On confirme qu’il y aura énormément de balayage vu notre amélioration entre les deux tours mais nos deux 2ème temps sont plutôt encourageants. Manque de bol, on cale au départ de la qualif’ et la voiture peine à redémarrer : résultat un temps pourri et une première journée forcément foutue d’avance. Tout le monde partira en ordre inverse mais heureusement il nous replace par catégorie par sécurité donc quelques 2 et 4 roues motrices seront malgré tout devant. La cérémonie de départ du jeudi soir restera un moment unique : la grande place qui était vide quelques heures plus tôt est maintenant impraticable, il y a une foule immense, un podium en hauteur où nous sommes présentés par deux en équipe, avec écran géant et un speaker qui motive les spectateurs. Forcément cela prend du retard mais ça valait le coup. Quelle claque !»





Avec 3 étapes et 182km de spéciale, ce Rally del Bio Bio est comparable à une manche de l’ERC. La course démarre le vendredi à 10h30 et se termine le dimanche en milieu d’après-midi. Un rallye fait de hauts et de bas pour le duo français :
« Les 24,7km de l’ES1 sont une bonne mise en bouche mais c’est déjà là que les soucis commencent. La direction se bloque au ¾ de la spéciale, heureusement dans une partie moyennement rapide et nous partons en tête à queue. Le temps de retrouver le bon chemin, noyés dans la poussière dû à une sécheresse extrême, nous perdons immédiatement la confiance pour les prochaines sections plus rapides mais Nicolas arrive à sentir les symptômes avant qu’ils n’apparaissent. Impossible de se lâcher pour autant. Avec 1,5km de liaison avant la 2 nous ne pouvons pas faire de miracle. On s’aperçoit que tout le monde est encore là et pour cause : un camion a décidé de partir dans la spéciale après la 0 et personne ne le trouve ! Sous le risque de l’annulation, la spéciale partira finalement avec 1h30 de retard le temps que les ouvreurs finissent toute la boucle pour revenir. Cela nous a permis de rencontrer tout le monde dans une bonne ambiance, ils se connaissent tous depuis des années, comme une bande de potes. On parvient à signer un 2ème temps derrière le local ce qui est franchement encourageant avec nos soucis de D.A. A l’assistance de mi-journée, il y a possibilité d’avoir une petite flexi-service de 15min ce qui est intéressant pour les teams avec plusieurs voitures. Ils n’ont malheureusement pas eu le temps de changer la D.A en 30min, c’est bien plus amateur qu’en Europe mais ils compensent avec la volonté, il faut s’enlever du milieu car ça vole ! »


« Les 7 premières ES sont des premiers passages. Le setup est mieux, on fait de nouveau un 2ème temps mais rapidement dans la spéciale, on a eu une sensation étrange à l’ARG. Pour cause l’amortisseur a lâché, la géométrie est très artistique et on pense même à s’arrêter. On prend finalement l’option de faire la suivante en warning, en mode 3ème passage de recos et on perd 1min35. On rentre très prudemment à l’assistance pour éviter de tout casser et ils parviennent à réparer. On termine 6ème de la journée à 2min11 du leader ce qui aurait pu être pire mais nous allons encore balayer demain. Les traces des 2 roues motrices et des premières 4 roues motrices plus « amatrices » sont un calvaire avec nos 4 roues. »

Samedi, Nicolas et Yannick qui appréciaient déjà ces spéciales en reconnaissance, en profitent pour signer 3 deuxièmes temps, malgré la poussière et leur position sur la route. A partir de l’ES8, ils reprennent des spéciales déjà faites et signent deux scratchs en 3 spéciales ce qui leur permet de remporter la seconde étape et marquer des points importants pour leur équipe. Une belle deuxième journée remontait de la 6ème à la 2ème place au scratch à 1min36 du leader et surtout sans soucis sur l’auto :
« On s’est vraiment régalé, rien à voir avec la première journée. De retour à la dernière assistance on se demandait pourquoi tout le monde nous applaudissait mais nous avons compris ensuite le fonctionnement des points par étape. Nous avons été conviés à la conférence de presse, là encore très typée WRC avec les 3 équipages au complet, plus les directeurs d’équipe, le tout en live sur différents canaux et extrêmement suivi. Incroyable.


Autant que la pluie qui s’est abattue une bonne partie de la nuit de samedi à dimanche, la première fois depuis le début de l’année ! Pour nous c’est du pain béni pour cette dernière étape, autant pour notre position sur la route moins désavantageuse mais aussi pour avoir l’opportunité de rouler sur un terrain type Wales, gras mais dur. On a une crevaison lente dans la 12 à 5km de l’arrivée avant que le pneu ne déchappe pour de bon. Alors que tout allait bien à l’assistance, que tout le monde était calme, subitement tout dérape à 5min de pointer. Je vois 6 personnes autour d’une roue, un écrou a grippé sur le goujon et impossible de le faire bouger. Ils sortent la meuleuse, l’assistance devient un vrai feu d’artifice, et ils parviennent à le retirer mais ils en regrippent un second ! Ils remontent tant bien que mal mais nous préviennent qu’il ne va pas falloir crever. Point positif, un amortisseur décelé défectueux a pu être changé, au clics prêts que j’avais en charge de faire. Au départ de la 13, je contrôle la fameuse roue est en fait il n’y avait que 2 écrous serrés, les autres ne l’étaient pas vraiment, pas très rassurant avant de prendre le départ. J’ai remis un bon coup de dynamo et croisé tous mes doigts … A 200m du pointage, on a une soudaine perte de puissance. Ce que l’on pensait (espérait) n’être qu’une énième ouverture de pop off allait finalement se confirmer une fois lancé en spéciale, on avance plus. A cette vitesse, je joins l’ingé qui me demande simplement de surveiller les T° mais nous pouvons continuer. L’odeur était insoutenable de l’intérieur, un œil sur le rétro et l’autre sur mon iPad. Sur le routier suivant on se fait un Face Time assistance mais rien de visible donc rebelote dans la 14. Il fallait surtout être alerte que tout ne prenne pas feu. Dernière assistance, on rentre avec 5min de retard. C’est le turbo qui a lâché, tout est changé pour tenter de ramener des points de la Power Stage. On prend un plaisir de fou, on claque le scratch, ce qui termine d’une belle façon cette aventure chilienne, notamment pour l’équipe qui récolte de précieux points. »


Finalement 7ème, les leaders du championnat de France asphalte n’auront pas ménagé leurs efforts pour aller au bout de cette belle escapade sud-américaine où les mots accueil et plaisir ont été omniprésents. Des performances de premiers plans quand tout fonctionnait et des points précieux pour leur team point Cola Racing, contrat rempli.
Comme l’aventure ne s’arrête jamais au podium final, c’est une nouvelle course qui commence pour Nicolas et Yannick dès le lendemain. Après une journée à avoir visiter les alentours et profiter de la vue sur le Pacifique avec en toile de fond des Péruviens qui entonnent la Marseillaise en partageant leurs fruits de mer, l’aéroport est tout bonnement fermé à quelques heures du départ du premier vol en raison d’une alerte à la bombe. Quelques coups de fil à l’organisation et la décision est prise de rouler jusqu’à Santiago en mode express, logiquement, à 5h30 de route. C’était une bonne idée d’avoir fait le plein la veille. Finalement, à l’heure pour le vol Santiago – Londres, en « jetant » la voiture de location à un membre de l’organisation affrété pour la ramener à Concepcion…
Alors, on part où la prochaine fois ?

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hiringa25 Tout afficher
C’est en feuilletant un vieux magazine de l’année 1994, que mon attrait pour le rallye a commencé. Il aura pourtant fallu attendre le Monte Carlo 2000 pour que j’aperçoive en vrai ces autos et ces pilotes qui me faisaient tant rêver. Depuis, cette discipline hors normes à guider ma vie, sous différentes formes, et j’ai désormais la chance d’y travailler au quotidien comme coordinateur sportif et copilote.
Bravo Yannick pour ce récit ! Il ne te reste qu’à le traduire en Anglais ! Bon courage, Marcus
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