Une petite part de légende

Lorsque le retour du Rallye de l’Acropole au calendrier du WRC fut annoncé pour 2021, une petite flamme Olympique s’est allumée dans mon cerveau de passionné. Si le moyen était à déterminer, il était clair que je ne voulais pas rester assis devant un écran pour suivre cette épreuve emblématique, dont le marteau d’Héphaïstos lui-même a forgé bons nombres de légendes et de champions. Au même titre que le Safari, « L’Acropolis Rally » avec le slogan « The Rally of Gods » (le rallye des dieux), réintègre l’élite pour notre plus grand plaisir. Retour sur cette édition en partenariat avec Rallyes Magazine.

Retrouvailles
Transmission de pensées ou heureux hasard, c’est le Team Manager de Saintéloc Racing, Vincent Ducher, qui me propose de renfiler ma casquette de coordinateur sportif pour les épauler sur cette épreuve. Avec trois C3 Rally2 engagées et des rallyes qui s’enchainent tous les weekends depuis des mois, les membres de l’équipe se donnent corps et âme pour performer. Un sans-faute en Opel Corsa-e Rally, trois victoires en cinq courses pour Rossel/Coria en WRC3, une victoire avec Griebel dans le championnat allemand, on peut dire que les efforts payent. Même avec une activité professionnelle chargée, impossible de décliner. Après notre première collaboration aux Açores en 2019, je suis heureux d’accompagner de nouveau l’équipe sur un rallye tout aussi spectaculaire.

Retrouver les automatismes
Ma dernière épreuve comme coordinateur/copilote remonte au Rallye de Chypre en 2019, j’ai donc eu quelques doutes après avoir raccroché avec Vincent ! La majorité des tâches logistiques avaient déjà été réalisées notamment par Mathilde Peyron, la coordinatrice du team : hôtels, avions, voitures de location, douanes, bateaux, books mais aussi les engagements et la montagne de paperasse en lien avec le COVID-19. Tout s’anticipe des mois à l’avance. La semaine précédant la course je me suis donc appliqué à relire les règlements du WRC et du rallye, tous les documents mise à disposition et j’ai très vite retrouvé des réflexes et des habitudes de travail. Cela a permis d’avoir un regard neuf sur le sujet et de pouvoir ajuster les derniers détails comme l’organisation des reconnaissances. Je serais le prolongement de Vincent sur le terrain, qui pourra lui se concentrer à ses tâches multiples de Team Manager principalement au Service Park. Moi qui voulais voir du pays, je devrais être comblé.

Bienvenu en terre des Dieux
Départ des Hautes Alpes à 5h du matin le samedi 4 Septembre, et direction l’aéroport de Genève où je retrouve Fabrice, mécanicien freelance de la belle époque de Bozian Racing. Présenter mon passeport m’avait manqué mais je n’en aurais même pas l’occasion puisqu’entre mon domicile et mon arrivée en Grèce, personne ne l’a réclamé ! Un comble quand on sait tous les justificatifs obligatoires en lien avec la pandémie. La majorité de l’équipe se retrouve à Athènes pour partir ensuite vers Lamia, à 2h30 au nord. La chaleur est supportable, bien plus que les dernières semaines dont les vestiges des récents incendies défilent sur l’autoroute. Nous profitons de cette première soirée à Kamena Vourla pour faire connaissance des uns et des autres et apprécier la gastronomie grecque.

Tout le monde se met en action dès le lendemain pour la séance d’essai des 3 équipages. Si la veille, notre pilote canadien « Crazy Léo » a pu prendre en main sa C3 Rally2 pour la première fois, Rossel et Johnston n’auront que cette opportunité pour se familiariser avec un terrain exigeant. Cette journée était capitale à tout point de vue : aussi bien techniquement, sportivement qu’au niveau relationnelle. On apprend à travailler ensemble, on rencontre ou redécouvre les équipages, on affirme son rôle. Une de mes tâches était d’ailleurs de récupérer tous nos pass, stickers, GPS de recos et bracelets d’accès au parc d’assistance. Avec une trentaine de personne dans le team plus des invités, la seule vérification « COVID » m’aura pris plus d’une heure. De retour à la base, il faut alors soigneusement trier le matériel puis le distribuer à chacun. A 15h, la décision est prise de clôturer la séance car la spéciale est maintenant impraticable. Alors que l’équipe repart sur Lamia, Clément et moi partons avec les équipages tout au sud, à 2h d’ici, à Kineta, pour le début des reconnaissances.



Reconnaissances de baroudeurs
Depuis le début d’année, c’est Clément qui est le mécanicien attitré des reconnaissances sur chaque WRC et il connait maintenant bien son affaire. Ancien pensionnaire de Hyundai Motorsport, il a l’avantage de bien parler anglais et d’être très débrouillard. Alex Kihurani envoi une semaine avant un plan millimétré avec points d’assistance, points de déjeuner, explications diverses mais il faut savoir composer avec les aléas. Entre la pluie durant 3 jours, les 11°C au thermomètre, le brouillard et surtout la boue, nous avons été servis et le plan initial est vite devenu obsolète. « Crazy Léo » a même dû remorquer Serderidis en plein chrono. Être copilote aide beaucoup dans ces cas-là et rassure aussi les autres confrères. Je conduis la voiture de spare (de secours), Clément le van d’assistance et ce n’est pas de trop pour 3 équipages. Notre binôme avec Clément fonctionnait à merveille.



Même si nous avions du temps une fois arrivés à l’emplacement prévu, c’était un peu la course entre à cause des liaisons importantes et des rythmes très différents de chacun. Au moment d’arriver au point 3 par exemple, on préparait déjà le point 4 pour connaitre notre heure limite de départ. Du temps de midi (ou 14h), on se transformait en Food Truck avec au choix avocats, sandwichs jambon/fromage, chips mexicaines ou encore les fameux « P, B and J » (beurre de cacahuète et confiture de fraise), le péché mignon de nos américains, leur récompense de fin de journée. Le menu était très précis mais on a toujours réussi à les contenter. Ce n’était pas la cantine Toyota mais ça ne manquait pas de convivialité ! Alors que l’on squatté en bord de route, un petit papi est venu nous proposer figues et raisins de son jardin pour agrémenter tout ça.


Le dernier jour, à l’arrivée de Pyrgos sous une pluie continue, le propriétaire d’un café perdu en forêt, et ancien cascadeur, nous a gentiment proposé une boisson chaude et son numéro de téléphone pour faire homme météo local. L’hospitalité grecque n’est pas usurpée. Je n’oublie pas les soins prodigués par Clément aux anciennes Subaru de recos utilisées par Citroën en 2019 (ex-Ogier pour Sean). Tous ces détails rassurent les pilotes et copilotes et leur font gagner un temps précieux. Le mardi soir par exemple, nous avons passé une partie de la soirée, derrière l’hôtel des équipages avec un tuyau de jardinage, à nettoyer la boue des 3 voitures et faire les pleins pour qu’ils puissent attaquer la dernière journée sereins. Mercredi soir, nous étions fatigués mais heureux d’avoir pu vivre cette préparation de course au plus près (et d’avoir pu conduire les fameuses Subaru).


Rocambolesque cérémonie de départ
Les choses sérieuses débutent ce jeudi. Après un team briefing la veille, nous voici en place à 7h pour débuter le shakedown. Le timing sera serré puisqu’il faut nettoyer, réviser et charger les autos avant 10h30 pour partir sur Athènes. Étant donné les conditions encore très galloises, nos équipages ne s’attardent pas et nous font gagner un temps précieux. Pour ce déplacement et le reste de la course, nous formons une équipe « volante » composée des 3 chefs de voitures, des 2 ingénieurs, de Clément et moi-même. Après Athènes, nous nous déplacerons sur chaque TFZ (une par jour), soit quelques heures de route en perspective. Le reste de l’équipe devra patienter jusqu’à l’assistance de vendredi soir pour retrouver les C3 Rally2. Comme prévu, les derniers mètres dans Athènes sont un calvaire car il nous est impossible d’approcher la zone de déchargement. Finalement en négociant avec la police, nous finissons par trouver une porte d’entrée sur le grand boulevard vide pour l’occasion, réservé aux camions qui transportent les autos. Nous y réalisons notre premier scratch : les 3 C3 Rally2 restent seules dans la Holding Area pendant presque deux heures. A se demander si nous nous étions trompé d’endroit ! Mais bien nous en a pris puisqu’au moment où nos équipages débutent les recos de la super spéciales en voiture de course et en combinaison, toutes les autres équipes débarquent en même temps dans un capharnaüm sans nom. Après avoir sué pour parquer notre remorque dans un parking souterrain, nous pouvons rentrer à l’hôtel réservé par l’organisateur et profiter d’une vue incroyable sur l’Acropole au dixième étage.



Une journée de course typique
Au petit matin, nous quittons la capitale et ses bouchons pour éviter à nos équipages la mauvaise surprise de devoir gérer seuls leurs pneus à Loutraki. Le soleil est cette fois bien revenu et la course enfin lancée. Grâce à WRC+, les splits SAS et les différents groupes Whatsapp, il est très simple de communiquer et suivre la course. Vincent est aussi rapide que la FIA pour transmettre tous les additifs et COC de l’organisation. Sur place, il faut donner l’emplacement attribué à notre voiture et s’assurer qu’il n’y a pas plus d’une personne pour aider et pas d’autres outils que le cric. Les chefs de voiture récupèrent leurs pneus au camion Pirelli et les ingénieurs, Thomas Breton et Steffan, établissent les stratégies pour les spéciales suivantes. De mon côté, j’amène les paniers repas et surtout l’eau à leur arrivée au regroupement puisqu’après c’est interdit. Les voitures souffrent déjà mais les réparations possibles sont très limitées, uniquement avec ce qui se trouvent déjà dans l‘auto. Ostberg qui a cassé une transmission, devra retirer la seconde et pointera en retard. A peine « Crazy Leo » repartit, qu’il nous faut tout charger et rentrer à l’assistance pour préparer la Flexi-Service du soir.




Lorsque la dernière spéciale de la journée est terminée et que le point sur les tâches à faire est envoyé par les équipages, les ingénieurs rassemblent leur équipe pour répartir le boulot. On décide également par quelle voiture on commencera et à quelle heure afin d’organiser l’heure du repas. La « flexi » permet aux équipes de choisir l’heure de début d’assistance (il y a une heure limite de mise en parc fermé) et donc de répartir efficacement les ressources selon le travail à faire. Et accessoirement à l’équipage de gagner de précieuses heures de sommeil puisqu’il peut déjà rentrer à l’hôtel. Mon rôle est alors de récupérer les carnets de pointage, ainsi que la voiture avec son chef mécano, et bien sûr gérer le timing d’assistance. Avec Mathilde, on retire les casques, hans, cagoules, on vide les Camelback, les poubelles, on nettoie ce que l’on peut puis on ramène l’auto dans le temps impartis en parc fermé. Pour clôturer l’étape, j’envoie toujours une photo du carnet pour rassurer le copilote (c’est ce que je voudrais en tout cas !). Une journée typique sur ce rallye de l’Acropole.



Entre légende et réalité
Avant d’aborder le côté sportif, je souhaitais revenir sur ma découverte de ce pays et ce rallye qui m’avait fait tant rêver à l’époque de Colin McRae. Si les paysages montagneux et les villages pittoresques en font un endroit idyllique pour tracer des spéciales d’anthologie, le « spectacle » dans les villes de tailles moyennes est nettement moins attirant : il y a beaucoup de déchets, partout, et les chiens et chats errants sont une calamité. Parfois peureux mais souvent agressifs, on est surpris dès qu’on sort de notre voiture. La population est par contre très chaleureuse et la gastronomie à découvrir. Ils ont cependant une certaine vision personnelle du code de la route … Le parc d’assistance à Lamia n’a pas attiré la foule même si le rallye était dans l’ensemble bien organisé. Avec à peine 292km de chrono, la notion d’endurance perd de sa saveur et l’itinéraire très étendu, engendra beaucoup beaucoup de routier. Des dires des pilotes, les spéciales étaient magnifiques et bien retravaillées pour éviter un terrain trop cassant et lorsqu’on analyse, il y a eu peu de crevaisons ou d’abandons. On ressentait l’héritage d’une épreuve pilier du WRC mais bridée par les nouvelles directives de la FIA et une pandémie encore présente.

Sportivement parlant, nos 3 équipages franchissaient la ligne d’arrivée presque sans encombre. Rossel/Coria ajoutait une nouvelle *victoire (*nous apprendrons malheureusement par la suite que l’équipage fut délcasser suite aux vérifications techniques à cause d’un berceau trop lourd, un comble) à leur formidable moisson 2021 alors que Johnston et « Crazy Léo » se classaient 6ème et 7ème en WRC2, un beau résultat d’ensemble. Mon seul regret est d’avoir dû reprendre la route très vite avec 3 autres mécanos (qui partaient aux Açores le lendemain), pour attraper mon vol du soir, me privant de féliciter les équipages à leur arrivée et de monter sur le podium avec l’équipe. Dix jours qui ont défilé à toute vitesse et qui m’ont rappelé pourquoi j’aimais tant ce métier polyvalent, au plus près des acteurs de ce sport. Un grand bravo à cette équipe de passionnés qui ne lâche jamais le morceau et à leur accueil toujours formidable. Quelle découverte pour 2022 ?

Crédits photos: Eyes of Rally / Victor Bellotto
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C’est en feuilletant un vieux magazine de l’année 1994, que mon attrait pour le rallye a commencé. Il aura pourtant fallu attendre le Monte Carlo 2000 pour que j’aperçoive en vrai ces autos et ces pilotes qui me faisaient tant rêver. Depuis, cette discipline hors normes à guider ma vie, sous différentes formes, et j’ai désormais la chance d’y travailler au quotidien comme coordinateur sportif et copilote.