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Roadtrip Franco-Belge / Etape 1

Chez World Rally Stories on a beaucoup de projets, d’idées mais le temps nous manque. Pourtant, début Mai, à la vue de mon planning, je me suis dit que l’opportunité d’un roadtrip entre Belgique et Vosges était envisageable. Projet fou sur le papier, encore plus lorsque j’étais concrètement sur le terrain mais qui s’est avéré tellement enrichissant et intéressant qu’il aurait été dommage de ne pas avoir tenté le coup. Au travers de cette mini-série, je vais donc vous présenter 3 facettes/métiers autour du rallye mais surtout des passionnés qui après toutes ces années, ont toujours cette petite flamme en eux et des projets plein la tête. C’est parti pour 1942km en 2 jours à travers 3 pays !

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Etape 1 – Belkits / Domino Model

 

Un nom qui parle forcément aux collectionneurs et aux amoureux de miniatures comme moi. Un des derniers commerçant en Europe à proposer autant de références et de stock et surtout, à avoir un magasin physique. Avec l’avènement de la commande en ligne et du « je cliques/je reçois », ce type d’établissement se fait rare, d’autant plus dans ce marché de niche de la miniature. Situé dans les Flandres à moins de 15 minutes au sud-ouest de Ypres, un des rallyes les plus mythiques en Europe, et littéralement sur la frontière entre la France et la Belgique, l’établissement est parfaitement camouflé dans le paysage. Rien ne laisse présager du trésor qui se cache à l’intérieur, hormis à mon arrivée cet utilitaire en partance pour une expo à Saumur.

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Avant l’ouverture des frontières avec l’Union Européenne, les touristes afflués ici pour acheter tabac, alcool, chocolat et autres produits moins taxés que dans l’héxagone. C’est toujours le cas aujourd’hui mais dans une moindre mesure. Voilà 10 ans que je n’avais pas remis les pieds ici et à mon arrivée, toujours cette impression d’être dans le secret, de ne pas venir pour les mêmes choses que la majorité des clients. Je traverse donc les rayons de tabac, de whisky, de chocolat et me dirige vers le fond du magasin qui a bien changé. J’aperçois les premières vitrines de diecast, ces miniatures au 1/43 et 1/18 en métal, que s’arrachent les collectionneurs que ce soit dans le rallye, la F1, le Mans ou la voiture conventionnelle. Je m’annonce à un des employés qui prévient Amélie, mon contact. Et tout cela en flamand bien entendu.

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A son arrivée, elle m’invite à m’installer dans la nouvelle salle de dégustation de whisky qui offre une vue magnifique sur la campagne flandrienne. A la grande époque, le rallye d’Ypres passait juste en bas et nous aurions pu déguster un single mat en terrasse tout en regardant la course. C’est à ce moment que Patrick, le patron, nous rejoint et que nous allons parler un peu histoire.

« L’affaire familiale remonte à 1940 avec une épicerie et la vente de beurre et de margarine. Quelques années après, on essaye de se diversifier avec la vente de poupées ou de pêche au canard et c’est en 1982 que cette partie de l’activité prend de l’ampleur avec la vente de jouets de plage, de Playmobil ou de Lego. En 1988, le nom change car il y en avait deux différents auparavant et devient Domino, en référence au célèbre jeu de société. Il faudra attendre l’année 1995 pour voir les premières ventes de diecast et de modélisme. Une belle idée qui perdure encore aujourd’hui et qui nous amènera à créer notre propre marque « Belkits » en 2011. » Nous y voilà donc.

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Mais avant de se lancer, il a fallu se forger une solide réputation et une connaissance globale du marché et surtout de la demande. En étant à quelques encablures du rallye emblématique de Belgique (avec le Condroz), le magasin était le point de passage obligé pour tous fans de course automobile. Les références y étaient nombreuses, le stock démesuré mais surtout on parle ici entre passionnés. Il y a des modèles rares, des versions uniques et ces vitrines quasi infinies vous poussent à rester des heures pour dénicher le modèle qui vous manque. Et puis en 2005 Patrick à une idée : proposer un modèle unique.

« Je connaissais bien Etienne et Pedro de chez Renaissance-Models (une autre idée de reportage dans les tuyaux) qui se trouve à 45km de chez nous. Je leur ai proposé de créer un modèle unique pour pallier au manque de nouveauté des fabricants principaux. Notre choix s’est porté sur la C2 S1600 de Loix au Rallye d’Ypres 2005. Le premier modèle de Domino Rally Collection était né. »

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Noter bien les stickers « Domino » présents sur les côtés et la plaque d’immatriculation

La qualité des artisans, puisque c’est bien le qualificatif qu’il faut employer, du duo de Salomé avait largement dépassé les frontières et ce type de partenariat était plutôt bienvenue pour diversifier l’activité. Cependant, les modèles en résine sont plus compliqués à monter, il faut plus d’expérience, de patience et de matériel pour ébavurer et ajuster les pièces. Leur coût est aussi plus important comparé à des tirages plastiques à grande série comme chez Tamiya, Hasegawa ou Heller pour les marques les plus connues. On touche alors une cible plus faible, plus âgée. La collection « Domino » s’agrandit pourtant avec de nombreuses déclinaisons de versions pour des rallyes belges ou mondiaux :

« Il y a une réelle demande pour des versions belges que ce soit Ypres, le Condroz ou nos pilotes en championnat du monde. Créer une planche de décals n’est pas très compliqué et en plus cela permet d’écouler notre stock de modèle classique. Par exemple, vous prenez une Peugeot 206 WRC de Tamiya au 1 :24èmeauquel vous ajoutez une planche de décals de chez Renaissance pour faire une version Loix au Condroz 2003. Vous obtenez alors un modèle plus rare et qui a plus de valeur à vos yeux car vous l’avez vu en vrai. »

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La formule marche et les différents artisans y trouvent un bon équilibre. Mais Patrick est plutôt du genre visionnaire. Il voudrait sortir 1 voir 2 kits par an mais la cadence est impossible à tenir pour Etienne qui réalise tout le prototypage à la main. Depuis la Peugeot 307 WRC en 2005, Tamiya ne sort plus de nouveauté en rallye et Heller ou Hasegawa ont fait le choix de l’aviation ou de la voiture civile, voir de la réédition. Du coup, les modélistes purement rallye sont cruellement en manque de nouveauté et se tourne vers d’autres échelles comme le 1/43èmeou tape dans leur stock plutôt que d’acheter une énième boite d’un modèle qu’ils ont déjà. Pourtant, il y a pléthore de modèles qui n’ont jamais été fait et que les modélistes attendent impatiemment. Une rencontre en 2010 va alors tout changer :

« Lors d’un salon du modélisme au Luxembourg, j’ai rencontré l’ancien représentant Trofeu et Ixo Europe qui me parle de la société Premium & Collectibles Trading basée à Macao (les bureaux et la société sont basée au Portugal mais la fabrication est délocalisée en Asie). Ce sont eux les leaders sur le marché du diecast et qui fabrique une grande partie des miniatures que nous retrouvons sous d’autres marques comme Ixo, Altaya, etc … Je venais enfin de trouver la solution à mon problème mais je plongeais littéralement dans l’inconnu ! »

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Car un des plus gros obstacles est celui des licences et des royalties. Pour avoir le droit de vendre une maquette, un jeu vidéo, un tshirt, une casquette ou un stylo associé à une marque, vous devez vous acquitter de royalties ou en l’occurrence ici de l’achat d’une licence. Et c’est à ce moment que l’on comprend la politique du géant japonais :

« Tamiya a beau être leader dans le modélisme, l’achat d’une licence n’est pas un coût anodin que ce soit pour la voiture ou la moto. Ils se tournent alors d’avantage vers le militaire et notamment la seconde guerre mondiale car il n’y a pas besoin de licence, on peut alors sortir beaucoup de nouveautés à la chaine sans restriction particulière. Pour nous, il faut non seulement payer une licence mais nous avons en plus l’obligation de vendre tout notre stock dans les 2 ans, sinon il faut racheter une licence pour 2 ans et ainsi de suite tant que la dernière boite n’est pas écoulée. Ce qui est bien sûr impensable. En s’associant avec la société macanaise, cette problématique est en partie levée car c’est elle qui achète la licence et nous revend entièrement son stock. Ainsi nous n’avons plus de deadline et nous pouvons fonctionner comme depuis toujours. »

19059035_1436717616375892_3683874268844575253_nL’investissement de départ pour chaque modèle est lourd car une commande/un stock représente un container entier soit plusieurs milliers de modèles ! Et sans garantie que ce modèle sera un succès auprès des acheteurs. Mais l’équipe de Domino Model a de l’expérience et peut compter sur la passion et la connaissance de ses employés pour faire les bons choix. Chaque nouveau projet est choisi avec précision et on parle à chaque fois de licence exclusive. Le premier kit « BEL001 » sort en 2011 avec la Peugeot 207 S2000. Un succès forcément !

« Evidemment se fut un soulagement pour tout le monde et une vraie motivation pour continuer ! Après 8 ans d’existence, nous avons aujourd’hui 13 références à un rythme de presque 2 nouveautés / an, ce qui était l’objectif de départ. Mais ce fut et c’est encore un sacré défi au quotidien car il faut toujours plus de documents, de licences et d’argent pour arriver à tenir la cadence. En parallèle, on a également voulu ressortir la Ford Escort Cosworth car le modèle était en rupture de stock partout mais Tamiya ne nous facilite pas la tâche et encore maintenant. »

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Bon et concrètement alors, comment on conçoit un « Belkits » ? C’est là que je quitte le confort de la salle de dégustation pour les coulisses de Domino et l’ancienne maison familiale à l’étage. Ici sont installés les bureaux et le cœur du projet. A l’inverse de la montagne de travail nécessaire pour mener à bien une telle idée, l’équipe est très réduite: Patrick bien sûr, Amélie qui s’occupe de toute la partie administrative, les douanes, licences et enfin Sylvain, pour la partie opérationnelle. C’est lui qui créer la notice, monte les premiers prototypes et ses retours permettront de sortir le produit final. Il nous explique :

« Je pars d’une feuille blanche et je dois aboutir à une notice que tout le monde peut comprendre. Pour le moment tout est fait sous Creo View Software mais nous allons passer à Solidworks pour les prochaines. Il faut compter 1 mois de travail. En parallèle, je reçois le premier prototype de Macao que j’assemble pour vérifier l’ajustement, les formes et la correspondance avec la réalité. Je dispose d’une banque de photos très fournie pour m’aider dans cette tâche de précision. Ils mettent 2 jours pour scanner toute la voiture et avoir ainsi les formes les plus fidèles possibles.  Je fais ensuite part de mes retours et les équipes en Asie modifient les moules pour aboutir au produit final. »

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Le dernier kit BEL012, la Ford Fiesta WRC 2017 de Sébastien Ogier au Monte Carlo 2017, a été d’une incroyable complexité, ce qui explique les nombreux reports avant sa sortie il y a seulement quelques mois :

« J’ai bien cru que nous n’y arriverions jamais ! s’exclame Patrick. Pour ce modèle nous avons dû acheter 4 licences différentes entre Ford, Redbull, M-Sport et Castrol. Il y avait toujours quelque chose à modifier sur la boite, la photo choisie, etc … On avait déjà eu quelques péripéties pour la Polo WRC mais là c’était passé à l’échelon au-dessus. Quand on vous demande de tout modifier alors que les boites sont dans les container en partance pour l’Europe, vous n’en menez pas large ! Mais on a pu trouver des solutions et enfin les proposer à nos clients. »

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Cette ténacité et ce jusqu’auboutisme a permis à Domino Model d’être crédible dans le milieu et même de faire évoluer les outils de ses fournisseurs. Jusqu’en 2015, les modèles Belkits disposaient de planche de décals de chez Colorado au Portugal mais depuis 2016 et la Ford Escort MKI, les belges sont passés en Italie chez Cartograph’, sans savoir qu’un sacré défi les attendais pour cette fameuse Fiesta WRC ’17 :

« Pour respecter le modèle original, Cartograph’ a dû acheter une nouvelle machine pour imprimer en plusieurs parties.  Sur cette planche on trouve du brillant, du mat et même du chromé pour les taureaux. Un travail titanesque mais à l’arrivée un résultat à la hauteur de notre demande et qui respecte la version originale. Les modélistes ne nous auraient pas fait de cadeau si nous étions passés au travers ! »

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Cette jeune et ambitieuse marque flamande n’a rien à envier aux colosses japonais, parole de connaisseur. Les modèles sont extrêmement détaillés, les proportions sont respectées et ils sont bien plus fournis que leurs rivaux avec la photo-découpe et les harnais intégrés. On trouve également quelques astuces bienvenues comme les vitres clipables ou les poignées de porte amovibles. Sans parler des décals qui sont superbes et tout ça pour une cinquantaine d’euros. Non vraiment, c’est une belle histoire belge, ou presque. J’ai tout de même voulu poser la question de la fabrication en Asie et malheureusement impossible d’y échapper : ils n’ont trouvé personne en Europe capable de faire ce genre de prestation et financièrement le projet n’aurait pas été viable.

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Un immense merci à Amélie, Patrick et Sylvain pour leurs accueils et le temps qu’ils m’ont consacré lors de ma visite dans ce temple du modélisme. On se rend compte que la passion et l’envie d’entreprendre peuvent déplacer des montagnes et aboutir à une belle aventure qui fait vivre du monde. Même si Patrick l’assure, « on est dans un équilibre fragile mais tant que la pérennité de l’affaire familiale n’est pas en jeu, on continuera à sortir de nouveaux modèles pour encore quelques années. »

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D’ailleurs, la C3 WRC et quelques jolies Gr.B sont en route. On attend vos réalisations !

Sources:

Site de Domino Model  /  Renaissance-Models  /  Belkits

Montage de la C2 S1600

Photos Victor Bellotto / Belkits

 

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C’est en feuilletant un vieux magazine de l’année 1994, que mon attrait pour le rallye a commencé. Il aura pourtant fallu attendre le Monte Carlo 2000 pour que j’aperçoive en vrai ces autos et ces pilotes qui me faisaient tant rêver. Depuis, cette discipline hors normes à guider ma vie, sous différentes formes, et j’ai désormais la chance d’y travailler au quotidien comme coordinateur sportif et copilote.

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