Au delĂ des apparences (đ·đŒ Rwanda Rally)
Câest une nouvelle fois en me « perdant » sur eWRC, que l’opportunitĂ© sâest prĂ©sentĂ©e. Lorsque je consulte religieusement et quotidiennement le site, jâai constamment cette curiositĂ© dâen savoir un peu plus sur les futures Ă©preuves affichĂ©es en premiĂšre page, notamment celles se dĂ©roulant hors Europe. Cette fois il sâagissait du Rwanda Mountain Gorilla Rally 2023 et quelle ne fut pas ma surprise de connaitre un des copilotes ! Lâoccasion de poursuivre la sĂ©rie « Les rallyes vu dâailleurs » Ă©tait parfaite, et qui plus est sur un nouveau continent.
Cette annĂ©e, je fut Ă un clic de me rendre enfin au Kenya pour lâĂ©preuve du WRC. Jâen rĂȘve depuis maintenant 23 ans; la premiĂšre fois que je voyais en photos ces WRC avec snorkel et pare-bluffe. Je trouvais ça dingue et aux antipodes de nos rallyes europĂ©ens. MĂȘme si le format Ă radicalement changĂ©, les commentaires de la nouvelles gĂ©nĂ©rations lors des 3 derniĂšre Ă©ditions Ă©taient toujours ampli de fascination et de plaisir. LĂ oĂč sur des rallyes classiques les interviews tourneraient sur une Ă©niĂšme crevaison, un Ă©niĂšme problĂšme de setup, pendant le Safari on parle davantage de la faune locale ou de la difficultĂ© du parcours, on sent quâils en redemandent et peu importe sâils en bavent. L’Afrique ne laisse jamais indiffĂ©rent.
Le fait que le rallye se dĂ©roule au Rwanda est une belle surprise et me laisse Ă penser que câest un signe encourageant pour le pays. On est plus habituĂ© aux rallyes du Maroc, en CĂŽte dâIvoire, au Kenya mais lorsquâon connait en substance les rĂ©centes atrocitĂ©s commises et l’instabilitĂ© de cette nation ces derniĂšres dĂ©cennies, lâorganisation dâĂ©vĂ©nements sportifs est une vraie preuve dâespoir. Il ne fait aucun doute que lâAfrique au sens continent du terme, regorge de lieux extraordinaires dâune diversitĂ© infinie mais ils sont difficilement accessibles. On a une profonde mĂ©connaissance de ce quâil se passe pour les populations locales, de lâouverture des pays aux tourisme par exemple et en dĂ©finitive, nous croyons savoir alors que nous sommes aveugles et influencĂ©s par ce que lâon entend.
Jules Escartefigue a alors endossĂ© Ă la fois le costume de copilote mais aussi involontairement celui dâĂ©missaire en mission pour nous Ă©duquer.Â
PrĂ©sentation du contexte: le pilote ougandais Jas Mangat a fait lâacquisition rĂ©cente dâune Hyundai i20 R5 Ă la structure belge BMA et recherchait Ă©galement un copilote qui puisse annoncer les notes en anglais. A un mois de lâĂ©preuve, câest Jules qui est choisi et embarque pour la plus belle aventure de sa jeune carriĂšre.
Dimanche 17 Septembre
AprĂšs 9h de vol depuis Bruxelles, Jules atterrit Ă Kigali, la capitale du Rwanda, ce petit pays par sa superficie. CoincĂ© entre le Congo, lâOuganda, la Tanzani et le Burundi, le « Pays des milles collines » a pourtant de sacrĂ©s atouts Ă faire valoir. Il fait dĂ©jĂ nuit Ă 18h et la rencontre avec Jas se fait autour dâun dĂ©licieux repas local.
Lundi 18 Septembre
Quelques heures aprÚs son arrivée, Jules enfile déjà une combinaison. Direction Bugesera, au sud du pays pour les premiers essais:
«  Nous Ă©tions assez proche du lieu du rallye mais les routes Ă©taient trĂšs diffĂ©rentes : beaucoup plus Ă©troites et sinueuses. Lâimportant Ă©tait de toute façon ailleurs car câĂ©tait une bonne mise en action pour apprendre Ă nous connaitre. Pour une premiĂšre en anglais, Jas est satisfait mais je parle trop vite, « trop anglais ». Je ne suis pas inquiet, quelques ajustements dans les notes devraient suffire. Le passage Ă un setup plus dur a pris beaucoup de temps car lâĂ©quipe ne dispose pas de tous les outils que nous avons en Europe et en plus le chef mĂ©canicien est tombĂ© malade ce matin. A peine quelques runs avec ces nouveaux rĂ©glages que nous venons nous poser sur des arbustes. Rien dâabimĂ© mais cela conclut nos essais. »
Mardi 19 Septembre
Derniers moments de calme avant le dĂ©but de la compĂ©tition. Jules profite de ce temps pour se reposer, prĂ©parer la voiture de reconnaissance et lâĂ©quipe de la voiture de course pour les vĂ©rifications. Quelques changements de roue chronomĂ©trĂ©s pimentons la journĂ©e.
Mercredi 20 Septembre
Les journĂ©es de reconnaissances donnent un peu la tempĂ©rature de ce que sera lâĂ©preuve. Si en Europe le formatage laisse rarement de place Ă lâinconnu, la premiĂšre journĂ©e en Afrique en revanche promettait beaucoup de nouveautĂ©s:
«  La journĂ©e ne fut finalement pas trĂšs compliquĂ©e dâun point de vue logistique ou timing car le rallye se passe dans une base militaire Ă la frontiĂšre avec le Burundi, prĂšs de Gasenyi. Toutes les spĂ©ciales sont trĂšs rapprochĂ©es, parfois il y a Ă peine 500m entre un point stop et le prochain CH. Tout se fait largement en une journĂ©e. Ce qui mâa demandĂ© beaucoup plus de travail et dâadaptation ce sont les notes. Jâai du comprendre puis mâhabituer au systĂšme de Jas, qui peut paraitre «simpliste» voir succinct pour nous europĂ©ens. Il nây a pas tous les dĂ©tails comme on aurait lâhabitude mais plutĂŽt une direction Ă maintenir sur la piste. Une sorte d’Ă©volution de ce quâon peut entendre en rally-raid. On sâadapte par exemple aux difficultĂ©s de la route comme des tranchĂ©es voir des ravins creusĂ©s par les pluies. On dit alors de rester Ă gauche, droite ou au milieu pour Ă©viter de tout casser une fois en course. Câest trĂšs dĂ©routant pour un copilote car il nây a pas de liaisons entre les virages, ni de distance et pour se caler vous imaginez la difficultĂ©, surtout si on voit peu la route. Le pilote fait beaucoup au visuel et Ă lâinstinct. Jâai apprĂ©ciĂ© lâouverture de Jas pour que je puisse apporter de la prĂ©cision et de la consistance dans ses notes et il Ă©tait conscient que cela serait bĂ©nĂ©fique pour tous les deux. Jâai par contre abandonner lâidĂ©e dâappliquer tel quel les standards europĂ©ens sur ce type de rallye. »
« La restitution des notes au deuxiĂšme passage a Ă©tĂ© finalement plus facile que prĂ©vu. Jâarrivais Ă me repĂ©rer et câĂ©tait assez parlant. Niveau diction, lâaccent français Ă parfois ressurgit par habitude et cela a gĂȘnĂ© Jas dans sa comprĂ©hension. Comme il parle trĂšs bien français, nous avons dĂ©cidĂ© de traduire des termes anglais en français pour que cela soit plus clair. Ca donne des notes trĂšs particuliĂšres et une gymnastique du cerveau inhabituelle ! Une journĂ©e trĂšs intĂ©ressante et enrichissante. Sans parler des dĂ©jeuner typique en pleine brousse, sous un arbre qui manquait de feuilles pour faire un peu dâombre. Le soir, nous avons visionnĂ© les camĂ©ras, une premiĂšre pour Jas qui a trĂšs vite compris lâintĂ©rĂȘt de faire ce travail avant le dĂ©but du rallye. »
Jeudi 21 Septembre
On rentre dans le vif du sujet. Jules et Jas vont pouvoir se confronter directement au chrono mais surtout Ă la concurrence avec les free practice puis la qualification, comme en ERC. Pourtant, notre copilote nâĂ©tait pas au bout de ses surprises:
«  Je crois que je nâai jamais Ă©prouvĂ© autant de stress en rallye que sur cette journĂ©e. Il mâa fallu en trĂšs peu de temps appliquer leurs mantra « Chill man » (quâon peut traduire par relax mec ou dĂ©tends toi). Pas si simple quand on est copilote et quâon doit justement suivre les rĂšglements et les horaires Ă la lettre et que la moindre erreur est sanctionnable. Je ne comprenais pas que nous avions 1h de retard sur la free-practice et que rien ne bouge. Je ne comprenais pas non plus les timecard du championnat africain oĂč il y a plus de TC indiquĂ©s que dans la rĂ©alitĂ©Â ! Sur les 10 TC prĂ©vus, je nâai pointĂ© quâune fois pour rentrer la voiture en parc fermĂ©Â ! « Welcome to Africa » mâont-ils rĂ©pĂ©tĂ© toute la journĂ©e. MĂȘme la FIA a du mal Ă faire appliquer les rĂšglements officiels et comprendre certaines actions des organisateurs. Donc il fallait suivre le mouvement mais rester vigilant sur les timings.Â
Nous rĂ©alisons une trĂšs belle qualifâ en faisant le deuxiĂšme temps derriĂšre Karan Patel. Cela nous a permis de choisir notre position de dĂ©part pour le lendemain dans les 5 premiers, et Ă©tant donnĂ© le balayage important sur ces pistes, il fallait partir le plus loin possible. Patel partira 5Ăšme et nous 4Ăšme. Jas tente de me rassurer en me disant que la journĂ©e de demain sera plus conventionnelle et que ce sera donc plus naturel pour moi. Je ne pouvais pas mâempĂȘcher pourtant dâangoisser Ă lâidĂ©e quâil nây ai pas de commissaire demain aux contrĂŽles horaires. »
Vendredi 22 Septembre
Les commissaires seront ils prĂ©sent ce matin ? Est ce que le rallye partira Ă lâheure prĂ©vue ? Nulle doute que cela a dĂ» cogiter dans la tĂȘte de Jules toute la nuit. Sera tâil assez « chill » ? En tout cas les premiers moments se passent normalement, comme lâavait anticipĂ© Jas:
«  Premier jour de rallye en Afrique. Je pars plutĂŽt sereinement du Parc fermĂ© car pour la premiĂšre fois tout le monde est Ă lâheure. Pas de soucis sur la liaison vers la premiĂšre ES. AprĂšs les deux premiers chronos, nous sommes 2Ăšme derriĂšre Karan et nous rĂ©alisons notre premier scratch dans la 3Ăšme spĂ©ciale, assez symbolique pour moi qui dĂ©couvre tout. Les choses vont se compliquer dans lâES4 puisquâaprĂšs 1km, la voiture partie devant nous est sortie dans des broussailles et elles ne tardent pas Ă prendre feu. Heureusement, en ARC (African Rally Championship), ils utilisent un systĂšme GPS trĂšs avancĂ©, comparable Ă celui utilisĂ© en rally-raid. Jâai du coup reçu lâalerte du danger bien en amont et nous avons pu anticiper. Au vu de la fumĂ©e, on dĂ©cide de sâarrĂȘter et leur prĂȘter notre extincteur pour les aider. Avec dâautres concurrents et quelques locaux, on parvient rapidement Ă Ă©teindre lâincendie et dĂ©gager lâauto pour finir la spĂ©ciale en convoi. LâES5 est annulĂ©e et nous ratons un nouveau scratch dans lâES6 pour une seconde .
Retour au parc dâassistance, plutĂŽt contents du rythme malgrĂ© la mise en jambe normale de ce matin. En faisant le tour on remarque que les jantes en aluminium sont tordues et on prend la dĂ©cision de monter des pneus plus souples sur des jantes magnĂ©sium. Une lĂ©gĂšre pluie commence Ă tomber au dĂ©part de lâES7, qui se transforme en gros orage dans la 8 qui est aussi la mĂȘme spĂ©ciale. On prĂ©voyait que ce serait plus glissant donc on a ajustĂ© le setup. Le rythme Ă©tait bon mais Karan Patel a frappĂ© un gros coup. Nous sommes dĂ©sormais bien installĂ©s en seconde position Ă 54,7s de Patel et avec plus de 2min23 dâavance sur le 3Ăšme. Une belle premiĂšre Ă©tape oĂč jâai pu aussi longuement discutĂ© avec les autres Ă©quipages, plus habituĂ©s au championnat ARC. Jas est trĂšs content de notre entente et de lâosmose dans la voiture, de mĂȘme que des notes. La premiĂšre parti du contrat est rempli. »Â
Samedi 23 Septembre
Quatre spéciales sont au programme de cette deuxiÚme et derniÚre étape du Rwanda Mountain Gorilla Rally 2023, dont deux passages dans les 27km de Kamabuye.
« Jâai passĂ© une mauvaise nuit, assez malade. Apparemment ça serait dĂ» aux fruits du petit dĂ©jeuner ; moi qui penser que câĂ©tait bon pour la santĂ© ⊠Ce matin nous partons dans lâesprit de terminer le rallye et bien sĂ»r garder notre deuxiĂšme position. Assistance rapide de la voiture, quelques mĂ©dicaments pour moi et câest reparti. Alors lancĂ© Ă 140km/h dans lâES9, jâaperçois la silhouette dâun singe traverser la route juste devant nous ! Jas nâa pas bronchĂ©, habituĂ© Ă ces primates un brin joueur. Il me dit que câest quasiment impossible de les percuter tellement ils sont vifs. A lâarrivĂ©e, nous rĂ©alisons le scratch, mais surtout nous posons 43s au leader qui a un souci ! Tout est relancĂ©. LâĂ©quipage kenyan rĂ©ussi une rĂ©paration sur le routier et nous devance pour une seconde dans la 10. Douze petites secondes nous sĂ©pare avant les deux derniers chronos.
De retour Ă lâassistance, les petits jeux de pression psychologique commencent. La veille dĂ©jĂ , Karan et son copilote Khan, ont essayĂ© de me tester en prĂ©tendant que nous avions une roue voilĂ©e alors que nous nâavions rien touchĂ©. Jâavais eu le temps de vĂ©rifier les serrages avant le dĂ©part mais jâavais compris leur petit manĂšge. Câest Ă mon tour de tenter quelque chose, sans abuser non plus. Avec motivation, je leur fait comprendre quâon va tout tenter dans cette derniĂšre boucle pour lâemporter, quâon a trouvĂ© des choses en rĂ©glages et quâon veut gagner Ă tout prix. MalgrĂ© une belle amĂ©lioration de 18s sur ces 27km, nous ne rĂ©ussissons quâĂ reprendre 2s. Autant dire quâavec 10s de retard et 8 petits kilomĂštres, le rallye Ă©tait quasiment pliĂ©. On ne prend pas de risque pour valider cette belle deuxiĂšme place et ce beau rallye.Â
Jâai vraiment apprĂ©ciĂ© la cĂ©rĂ©monie de remise des prix, tout comme les brochettes de bĆufs et les biĂšres pour fĂȘter cela ! Une bonne derniĂšre soirĂ©e ici au Rwanda, avant de retrouver Jas en Octobre pour lâavant derniĂšre Ă©preuve en Zambie. Cette fois lâobjectif est clair : la victoire ! »
Si avec ce rĂ©cit et ces photos explicites vous ne voulez toujours pas tenter lâaventure, je ne saurais plus comment vous convaincre.
Merci Ă Jules et Jas de nous voir embarquĂ©s Ă bord de leur Hyundai i20 R5 pour dĂ©couvrir ce championnat ARC et un bref aperçu de ce pays mĂ©connu quâest le Rwanda.
Nous avons dĂ©jĂ hĂąte de suivre lâĂ©pisode 2 en Zambie dâici une semaine Ă peine !
Sources:
- Photos: Jules Escartefigue / Rwanda Mountain Gorilla Rally
- RĂ©sultats: eWRC
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Câest en feuilletant un vieux magazine de lâannĂ©e 1994, que mon attrait pour le rallye a commencĂ©. Il aura pourtant fallu attendre le Monte Carlo 2000 pour que jâaperçoive en vrai ces autos et ces pilotes qui me faisaient tant rĂȘver. Depuis, cette discipline hors normes Ă guider ma vie, sous diffĂ©rentes formes, et jâai dĂ©sormais la chance dây travailler au quotidien comme coordinateur sportif et copilote.